RIEN DE NOUVEAU SOUS LA PLUME DE L'ECRIVAIN



Peut-on attirer le lecteur -de science-fiction comme du reste d'ailleurs- en balançant à tout va du putain, du bordel ou même du putain de bordel ? Oui et non. Finalement, si l'on veut bien, la vulgarité c'est l'accroche-attention du pauvre, celui du riche étant l'originalité pure. Mais en même temps, on a déjà écrit tant de choses… peut-être même tout, qui parfois ressemble à s'y méprendre à du rien. Que dire de la manière qui, elle aussi, a bien été retournée en tous sens. Reste bien la vulgarité : le merde est déjà bien implanté, les saloperie, pute, chierie et consœurs sont en quelque sorte les suffragettes de la littérature. Et finalement, l'écriture ressemblera à une catharsis ordurière, on tapera dans ses mains en criant au génie et, comme de tout, on en reviendra. Comme la Révolution a appelé la Restauration, le Verbe de Gentilhomme redorera son blason. Hypnotisé devant l'écran de mon ordinateur personnel, je dérive. Le scintillement de l'écran auquel je ne peux malgré moi m'abstraire amène mon cœur au bord des lèvres. Je tâche de me souvenir de ce que je fais derrière ce clavier, mais le curseur clignotant empêche ma pensée de se fixer. Je cherchais à exprimer l'Idée SF la plus noble à l'aide des mots les plus purs ; mais en fait de pureté, seule la blancheur virginale de ma page mérite cette désignation. Blancheur ? Pas tout à fait, puisque des formes se dessinent peu à peu, se modèlent progressivement pour former un tableau indépendant de mon imaginaire…

… une Cour, un étrange Monarque aux yeux roses, une peau bleu ciel, et un ton cassant :

- Est-ce que le Greffier Suprême veut bien poursuivre la rédaction de mon Epopée Exemplaire ?
Il semble que le Greffier Suprême, ce soit moi. Y suis-je ou n'y suis-je pas ? En tout cas, l'hallucination persiste… et il semble qu'une absence de réponse de ma part serait fâcheuse :
- Oui, c'est à dire Votre… Grandeur, j'ai un peu perdu le fil…
- J'en ai fait pendre pour moins que ça ! Demandez à vos milliers de prédécesseurs si la magnanimité est de mise dans mon Palais -oh, suis-je bête ! Ils ne sont plus réellement en état de répondre à quoi que ce soit- !
- Je ne demande qu'à coopérer, moi.
- Très bien. Reprenez à la prise de la planète Troutrintine 4…
- Troutrintine 4, j'y suis. Allons y.
- Très bien. J'ai donc pris la planète Troutrintine 4 pour notre immense bonheur il y a de ça pas mal de temps, et acquis ses autochtones à notre cause avec une douceur exemplaire, épisode dont je vous laisse remplir les trous.
- C'est un peu court non ?
- Plaît-il ?
- Je dis que les éléments pour remplir les trous sont un peu brefs. Y a-t-il eu prise militaire, des faits d'armes héroïques ?
- Qu'est-ce que cela peut faire ?
- Comment ? Si nous voulons obtenir une fresque convaincante de votre illustre vie, il me semble important qu'on lui colle au plus près !
- Pourquoi faire ? J'attache moins d'importance à la vérité historique qu'au rendu agréable et lustré du travail final. D'ailleurs si ça peut vous aider à rédiger un chapitre autour de la prise -voire de la cueillette- de la Planète Troutrintine, je vous propose le titre la Conquête de Miel (j'insiste sur les majuscules, pour le clinquant).
- Soit. Mais dans cette recherche strictement stylistique, ne trouvez vous pas que Troutrintine sonne un peu… vulgaire ?
- Effectivement… Maintenant que vous le dites… et que proposez vous ?
- Pourquoi pas Camilia ?
- Pourquoi pas, en effet. Votre initiative vous honore, et je vous donne désormais carte blanche pour traquer la vulgarité dans les moindres recoins de la littérature de mon empire.
- Et est-elle dense ?
- La littérature ? Non. Le seul écrit qui ait passé la rampe jusqu'à présent, c'est un poème que j'avais écrit à ma maman. Il dit " Maman, tu es pure ". avant, il y avait un autre verset qui disait " Maman tu es belle ", mais je l'ai censuré.
- Dommage ! Pourquoi ?
- J'ai craint qu'on interprète la beauté de manière triviale.
- Ah. Si j'entends bien, vous êtes d'une rigueur exemplaire sur la forme.
- Vous ne vous rendez même pas compte à quel point. Pouvez-vous à ce propos me lire ce que vous avez déjà écrit ?
- Pour l'instant, je n'ai que le titre principal ; pour le reste, je me tâte…
- Allez-y toujours.
- L'épopée fantastique et exemplaire d'Asjoubel, le Souverain Formidable.
- C'est ce que je pensais.
- C'est-à-dire ?
- Ça ne va pas du tout.
- Il… il faut que je recommence ?
- Evidemment !

Perplexe, je prends la feuille où l'on peut lire le titre, et la déchire. Sur ce, les gardes fondent sur moi. Je me défends comme je peux -verbalement en tout cas-, mais rien y fait. Les brutes bleu ciel me saisissent sous les bras et me traînent vers l'échafaud. Ce n'est qu'une fois la corde autour du cou que je comprends…

Faites l'expérience vous-même : prenez une feuille de papier, et déchirez-le. Ecoutez bien, ça fait " chhhhhhiiiié ".

Finalement, peut-être que la vulgarité, c'est tout simplement la vie, et si la littérature est vie, alors j'écris ce que je veux bordel de merde !

Sébastien Gollut


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