QUI SOUFFLE SUR LE MOBILE DES MONDES



Tout tourne, tout vit et meurt par le mouvement ; un mobile d'innocentes figures de papier qu'agace le vent dans la chambre de l'enfant, ainsi le monde, pareil le ballet de galaxies et plus encore les univers. Dans le clapotis des courants et le jeu des hasards, les mondes s'entrechoquent, les galaxies s'enroulent et se mangent. Si le souffle engouffré par la fenêtre et le rêve de l'enfant font s'agiter les poissons de papier, qui souffle sur le mobile des mondes ?

On la voit parfois en rêve, celle qui joue ainsi à voir bouger l'univers : c'est une vieille femme sous un châle poussiéreux. De sa bouche édentée, elle exhale le temps, bouscule secondes et siècles en une sarabande qui fait danser la nuit. Nous l'avons tous vue, cette vieille : image dépérie du propre visage de notre mère, elle nous rappelle dans les saccades de son souffle que le temps n'a rien de linéaire, qu'il nous faudra aussi en arriver là, que la décrépitude et l'anarchie du mouvement est loin tout en rôdant sur le seuil. C'est elle qui souffle. Pour se distraire. Pour éteindre les milliards de bougies qui jalonnent son interminable existence. Pour chasser cette mèche grise qui raie son visage et impose à son œil sa propre temporalité qui fait ployer et grincer son corps. Pour agiter ce mobile et lui donner l'illusion de la vie.

Faut-il qu'un jour le jouet se brise, faut-il que l'éternité se découvre une fin ; dans le chaos tournoyant qui peuple la noirceur des cieux, il se peut que l'on souffle trop fort, que les ficelles qui retiennent les corps sur le Grand Mobile rompent. Alors nous nous abîmerons. Peut-être suivrons-nous le destin des jouets cassés, peut-être quelque passionné remettra-t-il en état la grande course des astres, ou peut-être que les abysses auront raison de nous. La vieille dame s'en moquera, la capricieuse a certainement bien d'autres jeux.

Pour l'instant, le jouet tient ; dans une haleine glaciale, tout tourne. Amusée et abusée par le semblant de vie qui agite le mobile, la vieille danse avec lui et virevolte sur ses jambes usées. Son châle tournoie et balaie les mondes.

Mais alors, qui souffle sur la vieille femme ?

Tibault le Songes


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